jeudi 7 août 2014

Le Moyen-Orient ne doit pas se vider de ses chrétiens


© Photo : RIA Novosti/Andrei Stenin

C’est un fait. Le Moyen-Orient se vide progressivement de ses chrétiens. Chassés de leurs propres terres, exterminés, condamnés à payer un impôt (la dhimmitude) s’élevant annuellement, comme c’est déjà le cas à Mossoul, au revenu mensuel d’une grande famille, sont-ils une espèce en voie de disparition promise au sort des Arméniens crucifiés par le gouvernement turc en 1915 ?

Maintenant que le nationalisme arabe est en phase d’extinction progressive, que le Khalifat a été proclamé en Irak et qu’il menace de replonger dans un chaos sanguinaire la Syrie – chose qui semble se confirmer suite à l’attaque perpétrée il y a peu par Al-Nosra dans les frontières mêmes du Liban, zone d’intérêt primordial française – on peut se demander si la compassion attardée de l’Occident a encore un sens, voire si cette compassion n’a pas trait à une hypocrisie abyssale qui se confirme, contentons-nous d’un simple exemple, par l’indifférence glaciale du Vieux Continent à l’égard des coptes égyptiens.

Revirement subit, féérique : messieurs Cazeneuve et Fabius se disent prêts à accueillir l’ensemble des chrétiens persécutés en Irak, plus spécifiquement à Mossoul ou l’Emirat islamique fait ravage. On se souviendra de l’accueil précédemment fait aux Syriens de confession chrétienne … jusqu’au moment où ceux-ci ne formèrent des organisations militantes contre l’ingérence occidentale à la sauce djihadiste en Syrie et en soutien à Bachar al-Assad. L’altruisme réputé sans fin du Quai d’Orsay montra alors ses limites.

Imaginons maintenant que les chrétiens de Mossoul soient plus « dociles » et peut-être même, au regard de M. Hollande, moins « ingrats » que leurs collègues syriens. Imaginons que la sensibilité judéo-chrétienne des hommes politiques français connaisse un éveil saisonnier. Quid à ce moment-là des ismaélites, des sunnites, dirait-on, non-alignés sur les normes prônées par le Khalifat version irakienne, des chiites et des kurdes, ces derniers étant en outre particulièrement réceptifs au malheur des chrétiens ? Ne méritent-ils pas, eux aussi persécutés, ne serait-ce qu’un humble refuge dans le pays des droits de l’homme ? En plus, sur le plan pragmatique, voire cynique, une telle invitation aurait été une merveilleuse occasion supplémentaire de flirter avec la population musulmane locale. Mais la réalité est toute autre. Il serait temps de dire pourquoi.

L’invitation française intervient à deux moments précis. Premièrement, alors donc que les consciences occidentales se débarrassent massivement de leurs illusions quant au schéma pathétiquement caricatural du méchant nationaliste arabe à la solde d’Assad et que par conséquent l’amalgame nationalisme/tyrannie ne passe plus. Le djihadiste est redevenu ce qu’il est : une créature financée par des oligarchies cosmopolites servant corps et âme le pétrodollar et que l’on instrumentalise donc à satiété. Deuxièmement, au moment où le Hamas donne bien du fil à retordre aux Israéliens alors que le nombre de civils tués côté palestinien rend insignifiant le nombre de tués côté israélien, sachant notamment qu’il s’agit dans ce dernier cas de militaires. Nouveau bouleversement de l’opinion publique brisant le modèle manichéen classique, voire surexploité dans lequel on inscrivait jusqu’ici, non sans succès, toute la complexité du conflit israélo-palestinien.

Les conclusions s’imposent d’elles-mêmes. Les largesses de la France vis-à-vis des chrétiens d’Irak servent à justifier les injustices perpétrées par l’armée israélienne à l’égard de Gaza en faisant du musulman nationaliste le mauvais musulman à combattre. Le problème, c’est que le Hamas, si discutables soient ses origines, n’est en rien comparable aux islamistes de l’EI à l’œuvre à Mossoul. Pas plus que le Hezbollah. Pas plus que tous ses leaders nationalistes parmi lesquels Assad, suivi (certainement) de Rohani, semble être le dernier des Mohicans.

Cette instrumentalisation assez flagrante, les premières émotions passées, de la cause chrétienne par Paris, n’a pas vocation à aboutir. Aux dernières nouvelles, soutenus par leurs paroisses, les chrétiens d’Irak n’ont pas l’intention d’abandonner une terre teinte de leur sang depuis voilà 2000 ans. Et bien pas de chance pour les déracinés de la nouvelle France qui auront certainement beaucoup de mal à comprendre leur étrange obstination.